Ne pas du tout parler de soi, c'est une très noble hypocrisie.
Nietzsche, Humain, trop humain.
Samedi 9 juin 2007.
J'ai mis en ligne ce journal pour la première fois le 25 novembre 2002. Mon ambition à l'époque était de poursuivre la rédaction du journal intime que je tenais quotidiennement en me censurant le moins possible. Je ne voulais recourir à aucun pseudonyme, être le plus honnête possible, c'est-à-dire écrire ce journal exactement de la même manière qu'avant, sans penser à ceux qui allaient le lire par-dessus mon épaule. Evidemment, je me suis vite rendu compte que c'était illusoire, que j'allais devoir faire preuve de discrétion de temps à autres pour pouvoir continuer à mener une vie un tant soit peu "normale", sans craindre que les répercussions de ce journal ne viennent polluer mon quotidien. Il m'arrivait donc parfois de supprimer une phrase par-ci, un mot par-là, afin de ne pas trop perturber mes journées, mais cette autocensure restait modeste.
Je ne pense pas qu'il y avait un courage particulier, encore moins d'héroïsme, dans cette posture : je ne faisais que recopier le journal intime que j'ai commencé à tenir sur des cahiers depuis l'âge de quinze ans, sans vraiment me poser de question ni sur le sens de cette mise en ligne, ni sur les risques qu'elle me faisait courir.
Au fil du temps, à mesure que ce journal s'est fait connaître, au Palindrome comme ailleurs, grâce au bouche à oreille googlien, il m'a permis de faire quelques rencontres très enrichissantes, mais les premières alarmes ont commencé à retentir. Que l'on soit indiscret vis-à-vis de soi-même, passe encore - mais les indiscrétions concernant certaines personnes qui n'ont pas choisi de se trouver citées sur Internet ont fini par faire de moi un type peu fréquentable. Gentil, bien sûr, d'agréable compagnie... Mais si venir discuter avec moi était l'assurance de se retrouver croqué dans les pages de mon site Web, ça devenait trop dangereux.
Malgré tout, je persistais. Par masochisme, sans doute, peut-être aussi pour tenter de comprendre moi-même ce que cachait ce combat constant en moi entre l'exhibitionnisme et le voyeurisme. Et puis parce que j'y tenais, moi, à ce journal en ligne, et à la tribune qu'il m'offrait ! Je persistais, mais j'apprenais peu à peu de mes erreurs, et je me suis mis à supprimer des passages de plus en plus larges de mon journal. L'idée qu'un jour viendrait où je publierais l'intégralité de mes écrits intimes en volumes me permettait d'assumer cette autocensure de plus en plus visible.
Aujourd'hui, la part de dissimulation tend à prendre des proportions encore plus vastes que celle de la vérité, et je ne m'en sors plus. Entre mon journal "off" et mon journal "in", plus rien à voir. Les différences sont si nombreuses qu'il s'agit pour finir de deux journaux distincts. Qu'est devenue l'honnêteté dans tout ça, et quelle est la vérité de ce personnage sous les traits duquel je me présente quotidiennement à mes lecteurs ? Il ne s'agit plus de censure désormais, mais de mensonge par omission. Alors, à quoi bon continuer ?
Je renonce donc à ce journal en ligne, ça me fera des vacances, et à vous aussi. Bien sûr, mon journal existe toujours, et sa rédaction se poursuit, mais pour le lire désormais, vous devrez faire comme tout le monde : attendre que je sois mort, ou qu'un éditeur me prenne dans ses bras et m'ébouriffe les cheveux en me regardant droit dans les yeux comme le fils qu'il n'a jamais eu, ou que je change d'avis.
Mais je ne disparais pas complètement, ouvrant dès aujourd'hui ce blog (le blog est l'avenir du journal intime) que je nourrirai régulièrement de textes anciens et d'inédits, peut-être aussi de certaines considérations personnelles, mais en évacuant l'exhibition journalière. Vous pourrez ainsi sortir de chez vous à nouveau, et venir me serrer la main, sans craindre de devenir célèbre du jour au lendemain.
Alors, heureux ?